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BIO Web Conf.
Volume 56, 2023
43rd World Congress of Vine and Wine
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Article Number | 03017 | |
Number of page(s) | 6 | |
Section | Economy and Law | |
DOI | https://doi.org/10.1051/bioconf/20235603017 | |
Published online | 24 February 2023 |
Facing post crisis challenges through leadership and inclusion: The case of Napa Valley
1 University of British Columbia - Wine Research Centre EME 4145 11/37 Alumni Avenue, Kelowna, British Columbia V1V 1V7, Canada
2 Napa Valley Vintners, 475 Library Lane, St. Helena, CA 94574, USA
The years 2010 through 2020 brought difficult challenges for the Napa Valley, a wine region in the heart of California, representing 4% of its vineyard land and 30% in economic value. Napa experienced an earthquake in 2014, wildfires in 2017 and 2020 and then, like everywhere, was hit by the pandemic. Consequently, both the production and the sale of wines were impacted with a form of relentlessness which terribly affected the entire local sector. In addition to the devastating effects of fires and smoke on some vineyards, the health crisis came to question a well-installed business model in Napa where wines are sold directly to consumers. Here, 68% of the wineries produce less than 50,000 bottles/year and it is not uncommon to see a winery sell 2/3 of its production directly from the estate. Two other observations complete the table with a paradigm shift: an aging of Napa wine consumers, mainly American, and the social evolution of a valley which attracts the wealthy classes of people and challenges the housing needs of not just vineyard workers, but also intermediate professionals. In 2020, Napa Valley Vintners (NVV) initiated a vast strategic reflection in order to question the conditions of its development and its competitiveness to the face of these developments. The 550 wineries from the valley were invited to participate in thinking about the values of Napa, its leadership and the priorities to reconsider for the years to come. Collective commitment, leadership programs for high potentials, action local communities, diversity, integration of minorities … The list is long and it is enlightening to see how a wine region has been able to take advantage of a crisis situation to adjust its modus operandi with current issues, strengthen its leadership and create an inspiring new chapter for this world-class wine region.
© The Authors, published by EDP Sciences, 2023
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/).
1 Introduction
L’impératif de collaboration est souvent évoqué lorsque l’on questionne la performance d’un territoire viticole. Outre l’idée que le renforcement de la collaboration entre les acteurs d’un même territoire contribue au développement d’un état d’esprit collaboratif (1), la capacité de collaborer permet de trouver plus facilement des solutions ou des réponses face à une situation de crise partagée.
Ces dernières années, la littérature scientifique appliquée à l’industrie du vin s’est penchée sur les questions d’ordre stratégique, notamment celles relatives à la stratégie marketing des acteurs, à l’étude des marchés ou encore de leurs consommateurs, en revanche les sujets traitant du pilotage d’un territoire et de sa stratégie collective opérationnelle ont été beaucoup moins abordés. Pourtant le sujet est directement lié à celui de la coopération dont on se plait à souligner l’importance. L’idée de collaboration entre entreprises d’un même vignoble s’apparente assez bien avec l’idée d’une équipe ou d’un orchestre qui œuvre ensemble en faveur de leur réussite commune. Or, dans toute équipe à la recherche de performance se pose la question du leadership. Il convient de noter que le leadership, thème majeur de la théorie des organisations et de leur réussite, est finalement peu traité dans les revues académiques traitant de la filière. Nous rappellerons ici que la théorie des organisations (Organizational theory) est la discipline qui étudie les organisations, marchandes comme non-marchandes, dans toutes leurs diversités (entreprise, syndicat, interprofession, association…), pour en analyser le fonctionnement, la structure et le développement. Située au croisement de l'économie des organisations, de la sociologie des organisations, de la science politique et des sciences de gestion, elle a notamment pour objectif d’améliorer la prise de décision au sein de l’organisation (2) et de comprendre le comportement d'un groupe d'individus formant l'organisation ou répondant auprès de cette dernière.
Comme toutes les régions viticoles du monde, la vallée de Napa a dû s’adapter à de multiples péripéties au cours de son histoire. La prohibition des années 1920 influe encore sur la distribution des vins aux USA et dans cette étroite vallée qui ne représente que 4% des vins californiens, les assauts du climat n’ont pas manqué de provoquer ces dernières années des dégâts considérables. Les années 2010 puis 2020 ont été des millésimes difficiles pour Napa qui a connu un tremblement de terre en 2014, des immenses incendies de forêt en 2017 et 2020, puis comme partout dans le monde, fut touchée par la pandémie. En conséquence, aussi bien la production que la vente du vin furent impactées, durement, invitant l’instance régionale de pilotage de la filière, Napa Valley Vintners, à réfléchir sur les enjeux du futur afin de redéfinir les priorités de sa planification stratégique.
Outre les effets dévastateurs des feux et des fumées sur le vignoble, la crise sanitaire est venue questionner un modèle économique bien installé à Napa où les vins se vendent directement aux consommateurs. Ici, 68% des domaines produisent moins de 50 000 bouteilles/an et il n’est pas rare de voir une winery écouler les 2/3 de sa production directement au domaine.
À ce challenge commercial sont venus se superposer des questions d’ordre sociale ou sociétale, sous-jacentes jusqu’alors, ayant concomitamment émergées à la lumière d’une situation de crise durant laquelle il était demandé à chacun de fournir des efforts et d’accepter un certain nombre de sacrifices. Ces nouveaux enjeux, qui faisaient écho aux débats de société alimentant la chronique aux USA, interrogeaient Napa sur la place des minorités dans la filière, sur l’accessibilité de la vallée pour les classes moyennes et les travailleurs de la vigne qui demeurent les chevilles ouvrières d’une filière performante, ou encore sur la possibilité d’attirer de nouveaux consommateurs désireux de s’offrir des vins de la plus renommée des appellations américaines.
Cette contribution interroge la question du leadership au sein d’une région viticole et, au travers de la réflexion stratégique impulsée par Napa en 2020 au milieu d’une crise particulièrement aigue, et invite à se pencher sur les enjeux des organisations de gouvernance de la filière à l’orée de ce nouveau rapport au monde proposé par le New Normal (3).
2 Leadership et filière viticole, pourquoi est-ce important ?
La plupart des travaux de recherche sur le leadership se consacrent à l’examen des théories explicites du leadership, fondées sur l’observation et l’évaluation de la façon dont les leaders agissent. Récemment, la recherche s’est également orientée sur l’étude des théories implicites du leadership qui explore comment chacun définit ce qu’est ou devrait-être un leader (4). Quoiqu’il en soit l’étude et la compréhension du leadership sont importants car ils permettent de mettre en lumière les succès ou les échecs des organisations dans la conduite de leurs activités.
Le concept de leadership est une composante de la théorie des organisations qui permet notamment de mieux comprendre la nature des décisions prises au sein d’une organisation. Souvent le concept et la pratique du leadership, au travers des formes de direction et de contrôle qu’elle prend, sont tellement associés à la gestion d’une organisation, que l’absence de leadership est souvent considérée comme une absence d’organisation (5). Toute organisation collective, entreprise privée ou organisme de gestion territoriale, nécessite une direction et des objectifs clairs. Cette assertion est d’autant plus vraie lors de situation de crise. Aussi, les actes décisionnels perçus comme positifs sont souvent le fait d’actions prises par l’instance dirigeante en réponse à une attente de réponse souhaitée par les followers. Cette interaction synchrone entre un dirigeant qui décide et la réceptivité d’un groupe qui exécute est une des illustrations d’un leadership efficace.
Mosaïque de vignerons et de producteurs de vins, le territoire viticole est un exemple d’organisation spatiale qui doit savoir opérer entre stratégie collective pour le bénéfice de la région et stratégie individuelle pour assurer la rentabilité des entreprises privées qui la composent. Cette équilibre vertueux compliquée entre coopération et compétition a été théorisé sous le vocable de coopétition (6).
De nombreuses recherches sont menées sur l’amélioration des pratiques viticoles ou l’adaptation des usages notamment face aux enjeux du changement climatique. Curieusement peu de travaux concernent les thèmes ayant trait à la gestion d’équipe, au pilotage d’un territoire de vins et des choix d’actions prioritaires collectives, à la prise décision, et moins encore au champ du leadership dont il est aisé de mesurer l’intérêt au sein d’un écosystème aussi complexe qu’une région viticole.
L’année 2020 fut ainsi l’occasion pour le leadership de Napa de s’interroger sur les questions de diversité et d’inclusion. Une définition de la diversité est la représentation d’une variété de profils au sein d’une organisation. La notion de diversité a d’ailleurs évolué au cours des dernières décennies et intègre la diversité des sexes, des origines ethniques, une diversité culturelle… ou encore l’intégration de personnes en situation de handicap (7). La diversité professionnelle peut donc être visible ou invisible au contraire de l’inclusion qui est visible. L’inclusion est la décision d’intégrer une personne au sein d’une communauté. Dans une région viticole inclusive, le travail mené doit amener chaque employé à se sentir à sa place. Cela passe notamment par un sentiment d’appartenance, un accès aux opportunités et une valorisation du travail. Par définition, l’inclusion s’oppose alors à l’exclusion, la ségrégation ou encore la discrimination. Quand bien même la filière possède une expérience d’accueil de la main d’œuvre étrangère, il est évident que l’accélération du phénomène d’hétérogénéisation démographique des populations et des travailleurs soulève la question de leur intégration, de leur condition de vie et de l’accessibilité aux services et équipements (8). Parmi celles-ci, l’accès au logement dans des régions viticoles reculées ou gentrifiées, demeure particulièrement problématique (9).
Le choix de prioriser l’inclusion à Napa comme thème de travail et d’amélioration pour les années à venir relève d’un choix stratégique et d’une action de leadership. Il ne s’agit pas ici de défendre l’intérêt du choix stratégique en tant que tel, mais de mettre en lumière la capacité d’une organisation à privilégier la justice sociale dans une période de crise où les wineries attendaient des signaux forts. En ce sens, le choix en faveur de l’inclusion est un acte manifeste de leadership.
Environnement concurrentiel entre régions productrices, produits de substitution, épisodes climatiques, la filière vin est soumise à des tensions et des risques de plus en plus fréquents. Comme souvent, la meilleure réponse à ces situations est collective et le collectif a toujours besoin d’union et d’organisation. Ainsi, la crise semble parfois être le moment d’un changement opportun de paradigme. Il y a de réelles opportunités dans la gestion des crises et beaucoup d’auteurs considèrent que ces dernières sont un vecteur de changement organisationnel aussi bien pour les organisations publiques que privées (10). Il est par ailleurs intéressant de noter que le mot crise, dont l’étymologie provient du grec krisis associe l’idée de jugement et de décision mis en œuvre pour dégager une position entre plusieurs options différentes voire opposées. Parce que le territoire viticole est un écosystème composé d’individualités issus de cultures et de convictions variées, parce qu’il est soumis à des turbulences régulières issu d’un contexte perturbé dénommé le «new normal» (voir 1), il est important de pouvoir compter sur une instance de pilotage forte. En période tendue, cette organisation pilote, «gestionnaire» du développement socio-économique de la filière régionale doit savoir insuffler un état d’esprit auprès de ses membres pour qu’ils soient réceptifs à l’idée de donner de leur temps en faveur de la cause commune. Cette fonction du leader, qui désigne le meneur et non le chef, a un rôle capital à l’heure où nombre de territoires viticoles sont à la croisée des chemins, pris entre impératifs de marchés et pressions sociétales grandissantes.
3 Contexte et approche
En 2020, Napa s’engage dans un vaste aggiornamento afin de questionner les conditions de son développement à la lueur de ces évolutions. Les 539 wineries de la vallée sont invitées à participer et à réfléchir autour des valeurs de Napa, de son leadership et des priorités à reconsidérer pour les années à venir.
L’initiative est lancée par Napa Valley Vintners (NVV), principale organisation de la filière régionale. NVV est l’autorité des vins de Napa, sous statut d’association à but non lucratif. Créée en 1944, sa mission est simplement et clairement décrite : promouvoir, protéger et améliorer la vallée de Napa. Les wineries membres contribuent au financement de l’organisation par un système de cotisation dépendant des volumes de vins produits. L’adhésion à NVV est non obligatoire, par conséquent toute winery est libre de cotiser ou non. En 2022, NVV comptait 539 membres, soit 95% des producteurs de vins de la vallée. Le taux de participation découle naturellement du niveau de satisfaction des vignerons vis-à-vis de l’action de NVV mais également de la confiance accordée à son leadership. NVV est organisée autour d’une équipe permanente d’une vingtaine de collaborateurs et d’un conseil d’administration composé exclusivement de wineries.
Au cours de l’hiver 2020, la première décision fut de réunir l’ensemble des acteurs de la filière afin de prendre mesure de la situation et de réfléchir collectivement aux priorités d’adaptation face au changement. En fut issue une refonte du planning stratégique à la lumière des enjeux sociétaux soulevés par la crise et la reformulation des valeurs de Napa, de sa vision et de sa mission. Organisation de table-rondes avec les propriétaires de la vallée, décision de monter un programme spécifique pour la future génération des dirigeants, ateliers trimestriels avec les vignerons, formations techniques ou opérationnelles suivies par plus de 300 wineries… Ces initiatives, pérennes, d’où jaillissent stimulation créatrice et force collective ont permis de faire bouger les lignes et de recalibrer un certain nombre d’objectifs. Ainsi le focus a été mis sur trois aspects jugés prioritaires : l’implication de la région dans la crise sanitaire, la préparation des membres face au risque d’incendies, l’engagement de Napa en faveur d’une plus grande diversité.
Soutien aux vignerons et aux communautés face à la pandémie
Le soutien aux vignerons face à la crise sanitaire s’articula autour de trois axes. La mise à disposition d’information et de ressources destinée à favoriser une meilleure compréhension des effets induits par la pandémie sur le comportement des consommateurs ; une action renforcée auprès du gouvernement afin de permettre aux wineries de continuer à vendre alors que les œnotouristes, part significative de leur chiffre d’affaires, ne pouvaient se rendre sur place ; un engagement auprès des communautés locales et des travailleurs pour offrir un soutien spécifique notamment auprès des wineries détruites par les incendies de 2020.
Ces mesures immédiates avaient pour but d’assister directement les vignerons en période de crise et de proposer des alternatives commerciales afin d’atténuer les impacts de la pandémie sur la consommation de vin. En l’état, Napa traversait une conjoncture similaire à celles des autres régions du monde, mais il fallait rajouter à cela les conséquences dramatiques des incendies de 2020. Ils avaient détruit certains vignobles intégralement et affecté irrémédiablement 80% de la production des vins de Napa pour ce millésime à cause des effets des fumées sur le raisin (11).
La réaction d’une organisation œuvrant en faveur de la défense des intérêts d’une région, telle que NVV, face à une situation de crise est naturellement de proposer des parades. Moins naturel peut-être est l’investissement sociétal et la décision d’apporter une assistance opérationnelle dans la gestion de la crise sanitaire. Dans le cadre de cette dernière, NVV alloua plus d’un demi-million de dollars aux organismes de santé de la région pour organiser des opérations de vaccination sur site et renforcer la politique de prévention contre la propagation du virus. L’organisation fut également impliquée dans le cadre d’une campagne de communication régionale, en anglais et en espagnol, invitant les communautés de travailleurs de la vigne à respecter les mesures sanitaires. Enfin, durant les pics de crise, le staff de NVV fut mis à disposition du déploiement sanitaire pour venir renforcer le dispositif régional.
Incendies, se préparer face au défi climatique
2017 et 2020 furent des années particulièrement difficiles sur le front des incendies à Napa et plus largement en Californie. L’intensification et l’extension du risque, structurellement causées par le réchauffement climatique, combinés à l'évolution du combustible en forêt rendait impératif l’élaboration d’une stratégie régionale prenant en compte l'évolution du risque incendie et sa prévention sur le territoire de Napa.
Plus opérationnellement, la difficulté pour une organisation de pilotage de la filière vient de la nécessité de répondre soudainement aux multiples sollicitations de personnes mises en grande difficulté à cause des incendies : maisons brûlées, routes coupées, dégâts matériels, etc. Il convient alors de trouver des solutions rapides car l’ensemble des ressources humaines devait être mobilisable à un moment où la crise sanitaire frappait déjà. NVV adopta une approche dite des cercles concentriques implémentée lors du tremblement de terre de 2014 et qui consiste à prioriser les efforts et solutions à fournir en fonction du degré «d’appartenance» à l’organisation. Premiers bénéficiaires, les équipes de NVV afin de s’assurer que leurs conditions de vie et celles de leurs familles soient assurées, condition sine qua non pour compter sur leur entière disponibilité à l’égard du deuxième cercle bénéficiaire, les wineries membres de l’organisation. Pour elles, le soutien est d’abord logistique avec une cellule en charge de la recherche d’approvisionnements divers tel que générateur électrique, main d’œuvre pour nettoyer les parcelles impactées par les incendies, laboratoires œnologiques ou encore l’établissement de cartes parcellaires pour étudier les zones affectées. La ville de St Helena où se trouve le siège de NVV étant également affectée, il fut établi un centre d’opérations de commande délocalisé.
Dans ce qui s’apparente à un logistique en terrain de guerre, la clarté des décisions est capitale ainsi que leur bon séquençage. Le rôle du leader est évidemment clé, d’autant que les ressources humaines disponibles sur le terrain sont rares car des familles entières ont quitté la vallée ou font face à des situations critiques majeures. Le troisième cercle concentrique concerne la population de la vallée avec notamment le recours à un fonds d’intervention d’urgence (Emergency relief fund) créé par NVV en 2014 lors du séisme. Dès 2020, 3.5 millions de dollars furent alloués pour les besoins sanitaires des populations, notamment ceux des jeunes et pour venir en soutien financier (Emergency Financial Assistance) auprès des travailleurs au revenu modeste directement concernés par l’interruption soudaine de l’économie locale.
Investir les enjeux de justice sociale
Le thème de l’inclusion est parti d’une initiative originale à l’occasion d’une première réunion au cours de laquelle les dirigeants la vallée étaient invités à écouter les populations issues de la diversité sur les difficultés et discriminations dont elles faisaient l’objet. Un groupe de travail fut constitué afin d’étudier les réponses que NVV pouvait formuler.
Une première série de mesures concerna l’attribution de fonds auprès d’organisations œuvrant en faveur des minorités. 1 million de dollars furent donnés au United Negro College Fund (UNCF), organisme de gestion de bourses d’études pour les jeunes issus des minorités, afin de financer les frais de scolarité d’étudiants qui choisissaient de poursuivre une formation universitaire dans le vin. En parallèle, pour accompagner les besoins de ceux déjà en activité dans la filière, 400 000 dollars furent distribués auprès d’organisations en charge de l’accompagnement des minorités telles que Wine Unify, Bâtonnage ou The Roots Fund, particulièrement impliquées sur la question de la diversité, de l’inclusion ou encore du mentoring.
Plus significativement peut-être, Napa a ouvert la voie à une réflexion plus profonde sur le type de leadership à promouvoir dans la vallée, intégrant les enjeux de la diversité. A l’appui d’une campagne de communication invitant ses membres à accueillir un public plus divers au sein des wineries, des programmes de formation furent créés mettant un accent particulier sur la richesse de la diversité pour la filière. L’un d’entre eux, le Napa Leadership program, invite chaque année la nouvelle génération de leaders de la vallée à infléchir sur les évolutions de Napa pour le futur en intégrant dans leur réflexion les grands défis de société. Ce programme développé avec NVV s’articule en parallèle d’un cycle de tables rondes invitant tous les directeurs généraux de la vallée à partager régulièrement entre eux sur leurs expériences professionnelles ou personnelles. Plus de 140 directeurs ont participé à ce jour et en 2021, NVV accueillait la deuxième promotion du Napa Leadership program.
Les leçons de l’expérience
Implication au côté du secteur médical durant la pandémie, stratégie régionale du risque incendie, parité, action auprès des minorités… la liste des transformations est d’autant plus notable qu’elles furent opérées au cours d’une année d’incertitude, partagée par tous. Que peut-on en retenir ? Tout d’abord que les crises peuvent être une opportunité pour les régions qui acceptent de remettre à plat un certain nombre de leurs acquis. À l’instar d’une entreprise ou d’autres formes d’organisation, le territoire viticole est un tout qui se pilote, se gère, se dirige. Pour reprendre un principe fondateur de la théorie libérale, l’idée d’une main invisible qui, au bénéfice de la somme des initiatives privées, résoudrait les défis auxquels se trouvent confrontés ces régions apparait insuffisante (12). Les régions, telle une équipe ou un groupe d’individus, ont besoin de vision, de caps et d’engagement. Non seulement en faveur d’actions liées au développement de leurs activités, mais également comme la société du 21ème siècle nous y invite, en faveur du bien commun et de l’ensemble des communautés avec lesquelles il est partagé.
Le développement territorial est défini comme un processus au sein duquel les acteurs d’une même région se mobilisent pour partager, identifier les enjeux, définir des stratégies et agir collectivement (13). Aussi, dans l’idée d’élaboration d’une stratégie territoriale, apparait-il fondamental de savoir identifier et faire des choix sur des enjeux socio-économiques prépondérants pour le futur (14). Il en va de même pour une région viticole qui, au-delà de l’amélioration des pratiques vitivinicoles qui demeurent prioritaires, se doit d’agir comme ‘citoyenne actrice’ du monde auquel elle appartient. Cette gageure, qui prend aujourd’hui un nouveau visage au lendemain de la pandémie, est d’autant plus capitale si la filière vin occupe une place significative au sein de son économie régionale.
Nous avons déjà évoqué l’idée d’un engagement fort sur les questions de société venant d’une organisation de la filière comme étant un acte de leadership. Certes, chacun est libre de juger de la pertinence du choix de la décision, en revanche sur ces questions de société, l’acte de leadership marque l’action du sceau d’une responsabilité partagée face à des enjeux qui dépassent le cadre économique stricto sensu. Au sein d’une région viticole, les stratégies face au changement climatique sont de cette nature, mais elles concernent directement la viabilité du territoire, de ses vins et ses succès futurs. On ne peut dire la même chose de l’intégration des minorités. Dans le monde, nombre de régions viticoles ont recours à des populations migrantes, parfois sédentarisées, pour effectuer les travaux de la vigne. Partout, des initiatives existent certes, mais peu de régions ont inscrit l’accompagnement de ces communautés comme une action prioritaire dans leur plan stratégique.
L’année 2020 fut un exercice compliqué car se sont superposés un désastre climatique avec une crise sanitaire entrainant irrémédiablement de fortes tensions commerciales. L’un des challenges auquel Napa fut confronté fut de répondre efficacement à la multiplicité des urgences avec pour risque majeur une surcharge de travail, une perte de focus sur les priorités et des situations de stress chez les collaborateurs. Un bon leadership ne suffit pas à résoudre ou estomper les effets de la crise mais il est particulièrement important en ces périodes de tensions fortes. Il doit permettre d’affirmer un cap, de définir de nouveaux objectifs à la lumière d’une situation inédite, d’allouer efficacement les ressources et de prioriser les actions. Ensuite, l’application sur le terrain est naturellement du ressort des wineries, mais une bonne compréhension des intentions du leadership est capitale pour la mise en œuvre des opérations de façon coordonnée.
À Napa, aucune winery n’eut à déposer le bilan, l’ensemble de la communauté fut vacciné avec un taux de vaccination parmi les plus élevés des USA dès les premiers mois et les avancées sur l’intégration des diversités furent majeures. En donnant du sens à son action, l’organisation leader de la filière peut donner les moyens à ses membres de s’adapter opportunément à un contexte profondément perturbé, sans pour autant perdre de vue ses impératifs économiques fondamentaux.
Face au choc de la Covid, partout dans le monde, l’ensemble des acteurs économiques, tous secteurs confondus, a su réagir. Le monde du vin n’échappe pas à la règle et combien d’initiatives de dégustation distancielle a-t-on pu découvrir à partir de 2020 en réponse au ralentissement des ventes. Ces périodes de télétravail contraint ont contribué à multiplier les échanges entre régions viticoles sur les dispositifs mis en place (15). Dans la filière vitivinicole, ces échanges sont non seulement souhaitables mais nécessaires. Ces collaborations internationales existent, notamment dans le domaine scientifique, mais il faut aller plus loin. La crise sanitaire fut un exemple de partage de bonnes pratiques entre régions à cet égard. Ces périodes difficiles peuvent aussi servir de révélateur de leadership, surtout lorsqu’elles viennent bouleverser des contextes sociétaux. De la même façon que l’arrivée des pays du Nouveau monde dans les années 1990 était venue rebattre les cartes d’une industrie mondiale du vin au cours d’un cycle qui s’achève désormais (16), les années 2020 laissent entrevoir le démarrage d’une nouvelle ère pour la filière. Elle devra nécessairement être plus précautionneuse de ses ressources, plus proche des communautés employées dans la vigne, plus à l’écoute du voisinage, plus diverse et plus inclusive. Les régions qui sauront rapidement appréhender ces enjeux vireront en tête dans la course concurrentielle, car le consommateur de vin, comme tout citoyen, sera en demande sur ces points. Ici encore, les qualités de leadership sont essentielles au moment d’effectuer ce virage stratégique, car ces changements sociétaux sont structurels et invitent à une nouvelle réflexion autour de la mission, de la vision, des objectifs et de la stratégie des organisations de la filière viticole.
4 Conclusion
La crise sanitaire n’a pas changé le monde mais a bouleversé nos attentes. Quête de sens, d’authenticité, de responsabilité environnementale et sociale guident désormais cette nouvelle normalité et les écosystèmes formés par les territoires viticoles ont tout pour s’arrimer à ces défis. Le changement climatique et l’enjeu de l’expression authentique, via les terroirs, sont des sujets bien appréhendés par la filière. Certes, il reste du chemin à parcourir selon les régions et les acteurs, mais la prise de conscience sur ces sujets existe et toutes les régions intègrent progressivement ces dimensions. Ce postulat est moins vrai pour la recherche de sens et les questions d’ordre social, prises au sens large. L’idée de responsabilité partagée qui découle de la notion de propriété partagée se limite souvent au périmètre de l’intérêt individuel ou d’un groupe d’individus poursuivant un intérêt commun (domaines appartenant à un même classement, qualification identique, union de producteurs…). Or les régions de vins forment un tout où l’amélioration du bien commun et des conditions de vie offertes doivent bénéficier à l’ensemble de la communauté, avec des conséquences positives sur la qualité des vins produits et auprès des consommateurs.
Beaucoup d’écrits ont commenté la mutation de ces changements sociaux pour lesquels la crise sanitaire a eu un effet d’accélérateur. Pour les vignerons et les exploitations vinicoles, la pandémie a ouvert de nouveaux horizons et leur a permis d’améliorer leur capacité d’adaptation plus rapidement qu’ils ne l’auraient pensé. Pour nombre d’entre eux, la transformation digitale s’est opérée en quelques semaines, au travers de la vente et des dégustations en ligne, l’approche consommateur s’est enrichie partout dans le monde et des solutions furent trouvés face à des situations de crise jamais encore expérimentées. En conséquence, si le monde viticole maintient ce niveau d’agilité et d’adaptation, il est probable que les dix années à venir soient les plus innovantes des dernières décennies passées. Accessibilité, santé, justice sociale figurent évidemment parmi les grands enjeux à venir et la filière aura nécessairement des réponses à apporter. En écho à ces attentes, la question du leadership pour les régions viticoles n’est pas tellement différente de celle qui se posait jadis, mais elle se pose sous un jour nouveau, où ces sujets parfois considérés comme éloignés des préoccupations agricoles, vont prendre de l’importance auprès des consommateurs qui vont apprécier dans leur vin une forme de réponse à leurs questions de citoyen. Pour les années à venir, il est évident que le leadership se doit d’intégrer ces impératifs dans le pilotage de l’organisation de la filière avec pour préalable, la capacité à faire comprendre la prééminence de ces sujets auprès des exploitants.
À Napa, les difficultés du millésime 2020 ont sans nul doute favorisé les aptitudes de résilience et de collaboration entre acteurs de la vallée. Cette collaboration forte, insufflée très tôt au cours de l’histoire de Napa, explique en grande partie le succès de cette région aux Etats-Unis et dans le monde (17). À ces deux caractéristiques, s’est rajouté l’innovation qui est un peu l’ADN de la Californie ainsi qu’un leadership partagé entre organisation pilote d’une filière et dirigeants disposés à s’impliquer pour l’intérêt commun. Un leadership inclusif forgé autour d’une forme de responsabilité répartie entre les acteurs et qui fait de la réussite collective un critère primordial du succès d’un territoire viticole.
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